14 Février 2012 - Salle 6, EHESS, 105 bd Raspail.
Contaminated Architectures (Etats-Unis, 1988-2001)
Contaminated Architectures (Etats-Unis, 1988-2001)
Intervenant : Stéphanie
Dadour*
Répondant : Julien Perraud*
"En Amérique du Nord, les années 1990s sont révélatrices, dans le champ de l’architecture, de l’appropriation de concepts provenant des Cultural Studies. En partant du point de vue commun, celui de la critique de la normalisation et de l’hégémonie de l’homme blanc hétérosexuel de la classe moyenne, historiquement pris comme une valeur universelle, cette appropriation opère à deux niveaux. D’une part, elle s’insère dans la continuité d’une entreprise critique vis à vis des normes et des hiérarchies existantes dans le champ architectural et d’autre part, elle engage à partir d’un discours développé dans des disciplines connexes telle que la philosophie, l’anthropologie, les arts, les sciences politiques, sociales et humaines à s’approprier des notions de décentrement du sujet, très en vogue à l’époque. Pour des raisons différentes se tisse un réseau d’individus qui s’approprient ces notions de décentrement et visent, à travers la figure de l’espace domestique, à secouer l’écriture, l’interprétation, les grilles de lecture et la production architecturale jusqu’alors considérées par eux, comme hégémonistes.
Ce réseau d’individus est composé de personnes qui touchent et qui collaborent aux différentes ramifications du champ de l’architecture : les universités (la pédagogie, la recherche, l’organisation de colloques et de conférences), les publications (d’ouvrages, de recueils d’articles, de revues), les institutions culturelles (commissariat d’expositions dans des musées, des galeries et de think tank), les projets (réalisés ou pas), les politiques (ordre des architectes, archives) et leurs interactions. Les protagonistes de ce réseau se réapproprient la notion du other, de l’autre, chère à leurs prédécesseurs, les architectes dits déconstructivistes, à cette différence qu’ils ne s’intéressent pas au travail textuel ou formel mais à une déconstruction du sujet. Plusieurs d’entres eux s’identifient d’ailleurs à ce qu’ils considèrent être les catégories marginalisées de l’architecture : ils cherchent à perturber l’ordre pré-établi, entre autres à partir de leur positionnement en tant que femmes, Afro- Americans, queers, LGBT ou en temps que revendicateurs d’une multiplicité de la valeur de la masculinité. Les subalternes1 s’expriment, pénètrent et contaminent le champ de l’architecture.
Dans ce travail de recherche, il ne s’agit pas d’énoncer un virement idéologique quant à l’usage de la notion de l’altérité2, puisqu’elle est déjà présente dans le champ architectural, mais de révéler un moment d'agitation ancré dans les institutions qui s’étend sur une dizaine d’années pour ensuite perdre de son intérêt. L’objectif est de retracer d’une part le contexte et les raisons desquels ont ré-émergé ces intérêts pour le décentrement du sujet et une reformulation des contenus identitaires dans le champ de l’architecture et d’autre part de mettre en valeur les moyens mis en place par les architectes pour l’élaboration simultanée des récits de pluralisation des identités aux Etats-Unis.
1 Le mot subalterne est à comprendre dans le sens défini par Gayatri Chakravorty Spivak dans Can the Subaltern Speak (publié la première fois en 1988 dans Marxism and the Interpretation of Culture de Cary Nelson et Lawrence Grossberg.) où la théoricienne de la littérature et critique littéraire contemporaine considère les procédures par lesquelles les études postcoloniales réinscrivent leurs dominations politiques, économiques et culturelles. Spivak met en garde contre un nouveau genre d’impérialisme qui d’une part promeut une solidarité culturelle logocentrique et d’autre part crée une dépendance entre les dites minorités et leur porte-parole reproduisant ainsi leur position subordonnée.
2 Dans « Everyday and ‘Other’ Spaces », Architecture and Feminism, Princeton Architectural Press, New York, 1996, p.27, Mary McLeod parle d’un virement de mentalité auquel elle reproche l’usage des mêmes références (les poststructuralistes français) que ceux employés par les déconstructivistes. Pour cette même raison, il semble plus adéquat d’insérer ce moment dans la continuité du mouvement déconstructiviste que de le présenter comme un virement." Stéphanie Dadour
Ce réseau d’individus est composé de personnes qui touchent et qui collaborent aux différentes ramifications du champ de l’architecture : les universités (la pédagogie, la recherche, l’organisation de colloques et de conférences), les publications (d’ouvrages, de recueils d’articles, de revues), les institutions culturelles (commissariat d’expositions dans des musées, des galeries et de think tank), les projets (réalisés ou pas), les politiques (ordre des architectes, archives) et leurs interactions. Les protagonistes de ce réseau se réapproprient la notion du other, de l’autre, chère à leurs prédécesseurs, les architectes dits déconstructivistes, à cette différence qu’ils ne s’intéressent pas au travail textuel ou formel mais à une déconstruction du sujet. Plusieurs d’entres eux s’identifient d’ailleurs à ce qu’ils considèrent être les catégories marginalisées de l’architecture : ils cherchent à perturber l’ordre pré-établi, entre autres à partir de leur positionnement en tant que femmes, Afro- Americans, queers, LGBT ou en temps que revendicateurs d’une multiplicité de la valeur de la masculinité. Les subalternes1 s’expriment, pénètrent et contaminent le champ de l’architecture.
Dans ce travail de recherche, il ne s’agit pas d’énoncer un virement idéologique quant à l’usage de la notion de l’altérité2, puisqu’elle est déjà présente dans le champ architectural, mais de révéler un moment d'agitation ancré dans les institutions qui s’étend sur une dizaine d’années pour ensuite perdre de son intérêt. L’objectif est de retracer d’une part le contexte et les raisons desquels ont ré-émergé ces intérêts pour le décentrement du sujet et une reformulation des contenus identitaires dans le champ de l’architecture et d’autre part de mettre en valeur les moyens mis en place par les architectes pour l’élaboration simultanée des récits de pluralisation des identités aux Etats-Unis.
1 Le mot subalterne est à comprendre dans le sens défini par Gayatri Chakravorty Spivak dans Can the Subaltern Speak (publié la première fois en 1988 dans Marxism and the Interpretation of Culture de Cary Nelson et Lawrence Grossberg.) où la théoricienne de la littérature et critique littéraire contemporaine considère les procédures par lesquelles les études postcoloniales réinscrivent leurs dominations politiques, économiques et culturelles. Spivak met en garde contre un nouveau genre d’impérialisme qui d’une part promeut une solidarité culturelle logocentrique et d’autre part crée une dépendance entre les dites minorités et leur porte-parole reproduisant ainsi leur position subordonnée.
2 Dans « Everyday and ‘Other’ Spaces », Architecture and Feminism, Princeton Architectural Press, New York, 1996, p.27, Mary McLeod parle d’un virement de mentalité auquel elle reproche l’usage des mêmes références (les poststructuralistes français) que ceux employés par les déconstructivistes. Pour cette même raison, il semble plus adéquat d’insérer ce moment dans la continuité du mouvement déconstructiviste que de le présenter comme un virement." Stéphanie Dadour
˚Quelques
références bibliographiques
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MIT Press, Cambridge, 1981.
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*Stéphanie
Dadour est doctorante en architecture à l’ENSA Paris-Malaquais
sous la direction de Monique Eleb. Dans le cadre de ses recherches,
elle a passé une année à la Columbia University en temps que
Visiting Scholar. Elle enseigne à plusieurs universités, entre
Montréal, Beyrouth et Paris. ̊Titre de la thèse : Imaginer
l’autre
:
les constructions et les représentations de l’altérité dans les
projets d’architecture domestique en Amérique du Nord (1988-2007).
Parallèlement
à cette pratique expérimentale, il questionne les conditions d’une
architecture mineure
au
sein du laboratoire GERPHAU où il effectue une thèse de doctorat
sous la direction de Chris Younes.
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Praxis et réinvention de la Raison
Intervenant : Renato Silva Guimaraes*
Répondant : Ghali Beniza Sari*
"Sartre dans la « Critique de la Raison Dialectique » prône pour la
nécessité du prolétariat de combattre la « raison bourgeoise » par une
nouvelle « raison ». Il faut donc réinventer la « raison ». Loin des
traditions philosophiques du Vieux Monde les artistes d’Amérique Latine se
sont efforcés de récréer un nouveau savoir. Du Cannibalisme Culturel
d’Oswald de Andrade comme « weltanschauung » réélaboré par les expériences
de « L’Esthétique de la Faim » et par la critique de la Raison Occidentale
par Glauber Rocha, dont la recherche visant à réinventer la « raison »
culmine avec une vision « messianique » de l'histoire. Nous étudierons la «
praxis » artistique comme résistance et la « subjectivité » comme outil de
libération. Afin de penser et d'analyser les catégories culturelles et
politiques que ces objets interrogent. Nous actualiserons la « philosophie
» oswaldienne et le projet glauberien sous le prisme du Perspectivisme
Amérindien de Viveiros de Castro, où le chercheur doit se positionner à
l'intérieur du groupe étudié. Ce qui veut dire, du point de vue
méthodologique, qu'on ne prendra pas en compte uniquement le natif comme
sujet symbolique, mais nous efforcerons de légitimer son discours face au
discours produit par le chercheur (Viveiros de Castro, 2002). L’autre
prisme adopté sera la psychologie culturelle d’Ernst Boesch, à travers
laquelle nous examinerons les tensions naissantes dans la relation entre
les différents positionnements du « je » face à l’ « autre » en prenant en
compte un ensemble d’actions symboliques (Boesch, 1995) dans son
élaboration. Nous allons ainsi tenter d’ouvrir de nouvelles perspectives au
sujet de l´interrogation de la praxis artistique extra-européenne."
Renato Silva Guimaraes*.
Bibliographie:
Métaphysiques Cannibales, Puf , Paris, 2009 - Eduardo Viveiros de Castro
Les Archives de l’Ambiguïté - L’Archéologie du Savoir Cannibale T. 2 - L'Harmattan, 2000 - Adolfo
Chaparro Amaya
Manifeste anthropophage, 1928 - Oswald de Andrade
Antropofagia, Hoje? Oswald de Andrade em Cena. E Realizações LTDA - 2011- Jorge Ruffinelli e João
Cezar de Castro Rocha
Glauber Rocha o Leão de Veneza. Editora Escrita. 1982. Pedro del Picchia et Virgínia Murano
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*Renato Silva Guimarães est doctorant en Arts Plastiques et Science de l'Art et
Attaché Temporaire d'Enseignement et de Recherche (Cinéma et Audiovisuel) à
L'Université Paris 1 (Panthéon Sorbonne) où il enseigne l'Analyse de
L'image et l’Esthétique et la Théorie du Cinéma. Ses travaux de recherche
s’intéressent aux thèmes suivants: la relation entre cinéma et philosophie, praxis
du cinéma, cinéma et anthropologie, cinéma politique, dialogisme, mouvement
anthropophageet modernisme brésilien.
*Ghali
Beniza Sari poursuit actuellement un doctorat à
l'Ecole Pratique des Hautes Etudes en anthropologie. Il effectue une
recherche sur un rite politique ayant cours parmi le mouvement des
travailleurs ruraux sans terre (usuellement nommé M.S.T) du Brésil
et le contexte historique (à la lumière des apports de
l'historiographie brésilienne contemporaine) ayant permis
l'émergence de ce mouvement social dont la singularité réside du
point de vue de l'histoire, dans la collusion d'une idéologie
religieuse oecuménique et d'une idéologie politique à
l'intérieur d'un monde rural qui d'un point de vue sociologique,
économique, juridique et religieux s’avère contrasté.